LA LANGUE DE CHEZ NOUS

24 juin 2024 | Art & Culture

Avant 1539, de nombreuses langues provinciales et/ou locales étaient utilisées par le peuple pendant que le latin était pratiqué par le clergé, les hommes de loi, les médecins, mais aussi par les philosophes ainsi que par les scientifiques.

Le 25 août 1539, François 1er promulgue l’ordonnance de Villers-Cotterêts imposant le français comme langue obligatoire dans tous les écrits officiels.
Toutefois, l’enseignement reste réservé à la noblesse, à la bourgeoisie et au clergé, de la sorte le peuple ne maitrise, ni la lecture, ni l’écriture et utilise des patois locaux pour communiquer ; langues non écrites se transmettant oralement de générations en générations.
C’est ainsi qu’aux confins de la langue d’Oïl et de la langue d’Oc s’étalait une zone de contact des langages que les linguistes nomment «le Croissant » eu égard à la forme de demi-lune qu’il dessine sur les cartes géographiques. Comme le montre la carte ci-dessus, les parlers du Croissant s’étirent sur trois cents kilomètres, depuis la Charente à l’ouest jusqu’à l’Allier à l’est, en passant par la Vienne, la Haute-Vienne, l’Indre, la Creuse, le Cher et le Puy-de-Dôme.
Si le Croissant contraste assez nettement avec les aires linguistiques qui l’entourent, il n’en reste pas moins que l’aire croissantine présente une très importante diversité interne. En effet, il n’a jamais existé d’unité, ni de tradition ; les variétés parlées localement n’ont jamais accédé au statut de langues officielles. De ce fait, les parlers croissantins n’étant soumis à la pression d’aucune norme autochtone, ont donc évolués pendant des siècles, chaque micro-terroir développant ses propres caractéristiques grammaticales et lexicales.
Par ailleurs, le Croissant linguistique présente une grande diversité de vocabulaire ou de prononciation. Ce phénomène est bien sûr dû au fait que dans son périmètre, on passe en quelques kilomètres de parlers présentant des caractéristiques occitanes au sud à des parlers présentant des caractéristiques propres aux langues d’oïl au nord.
Le 16 juin 1881, Jules Ferry, Ministre de l’Instruction publique rend l’enseignement primaire public et gratuit. En 1882, cet enseignement devient obligatoire pour tous. Des instituteurs sont envoyés par la République dans toutes les communes. Ils ont pour mission d’alphabétiser tous les enfants, mais également d’éradiquer tous les patois locaux. Des punitions sont alors infligées aux enfants par les maîtres d’école pour tout mot prononcé en dehors de ceux figurant au dictionnaire de la langue française.
De nos jours, les parlers du Croissant constituent clairement un patrimoine menacé. Dans la plupart des localités où un parler du Croissant était utilisé, la transmission a généralement cessé avant 1945, parfois plus tôt, en particulier dans les villes. Dans certains villages, quelques enfants ont encore appris la langue locale jusqu’en 1960, voire 1980, mais les parlers du Croissant sont désormais très minoritaires sur les territoires d’origine.
Cependant, dans la seconde décennie du XXIe siècle, la donne a changé. Auparavant les recherches sur le Croissant étaient le fait d’individus qui menaient leur propre programme sans réelle concertation avec les personnes qui partageaient le même intérêt.
Désormais, la recherche sur le Croissant est organisée et collective. En 2013 a ainsi eu lieu le premier colloque consacré aux parlers du Croissant rassemblant une dizaine de spécialistes de la zone qui a conduit à la mise en place de plusieurs projets scientifiques jouissant d’un soutien institutionnels, donc des moyens d’agir, notamment par la mise en place :
− Sur 2015-2016 : d’enquêtes qui ont permis de dresser l’inventaire des pratiques linguistiques sur plusieurs communes.
− Sur 2015-2019 : d’une opération de recherche, sur cinq ans, consacrée aux parlers du Croissant ainsi qu’un projet de cartographie en ligne.
− Sur 2018-2021 : le recrutement d’une équipe pour travailler à plein temps sur les parlers du croissant.
Ainsi la recherche dispose aujourd’hui des moyens structurés pour approfondir ce riche objet d’études que constitue le Croissant, domaine linguistique si peu exploré.
A suivre ….
Sources : langues et cités, les parlers du croissant