Jean Dormoy débute sa carrière professionnelle à l’âge de treize ans à l’usine Rosières de Vierzon avant que celle-ci ne ferme deux ans plus tard.
Si l’activité industrielle de Vierzon décline, elle devient florissante à Montluçon, qui en quelques années a basculé d’une société à dominante agraire et artisanale vers une société industrielle.
A l’origine de cette révolution, la construction du canal de Berry et du port de Montluçon, commencée en 1808 sur ordre de Napoléon 1er, elle va durer près de trente ans et permettre l’importation du minerai de fer du Berry et l’exportation de la houille de Commentry.
Dans ce contexte, la famille Dormoy quitte Vierzon pour s’installer à Montluçon, dans le quartier de la Ville-Gozet. C’est le 9 décembre 1865 que Jean Dormoy, à 15 ans et en qualité d’ouvrier métallurgiste, prend le chemin des Forges Saint-Jacques qui fabriquent des rails ainsi que du matériel pour l’armement. Si la révolution industrielle triomphe, le monde ouvrier connait une misère massive : l’activité est pénible, les journées de travail sont longues, le repos dominical n’existe pas, les accidents du travail sont nombreux et les salaires hors toute réglementation. Toutefois, à la porte des usines, s’agglutinent des hommes prêts à accepter n’importe quelles conditions.
En 1870, après la défaite de Sedan qui entraina la chute de Napoléon III, Jean Dormoy a pris, à Montluçon, la tête de ceux qui ont proclamé la République. Repéré par la direction des usines Saint-Jacques, il est renvoyé des Forges.
Ne trouvant plus à s’employer dans les usines environnantes, il va exercer divers métiers : cordonnier, marchand ambulant, vendeur d’huile ; le tout en poursuivant sa propagande révolutionnaire.
En 1880, il sera désigné membre du Conseil national du Parti Ouvrier.
En juin 1881, Jules Guesde s’adresse aux ouvriers de Montluçon. Jean Dormoy est convaincu par le propagandiste des thèses de Karl Marx et de Fiederich Engels qui, en 1848, avaient publié en commun « le Manifeste du Parti Communiste» dans lequel Marx et Engels appelaient à la dictature du prolétariat amenant à l’avènement d’une société sans classe.
Jules Guesde présentera Jean Dormoy à Paul Lafargue, gendre de Karl Marx. Le trio va se répandre à travers la campagne bourbonnaise pour appeler à la révolution. Leurs discours sont d’une telle violence qu’une information judiciaire est ouverte à leur encontre pour provocation au meurtre, au pillage, à la pendaison des patrons et d’excitation à la guerre civile. Après un premier procès à Moulins où ils seront condamnés à deux ans fermes, ils écoperont d’une peine de six mois de prison qui sera exécutée à la prison Sainte-Pélagie à Paris en 1883.
Visiblement le régime carcéral qui leur est appliqué n’est pas des plus sévères : le trio choisit les plus belles chambres, les meublent et Madame Lafargue, chargée de victuailles, fait de fréquentes visites. Parallèlement, Jean Dormoy est initié par ses compagnons aux complexités du «socialisme scientifique».
Libéré, Jean Dormoy reprend l’action militante et fait une proposition au Congrès de la Fédération nationale des syndicats et groupes coopératifs qui se tient à Bordeaux en 1888 : organiser la remise des revendications par une délégation aux représentants des pouvoirs publics, le même jour, à la même heure dans toutes les villes où existait un mouvement ouvrier, en annonçant qu’elles reviendraient rechercher les réponses sous quinzaine accompagnées de la plus grande foule possible ! Le succès fut tel que quatre mois plus tard, le Congrès international de Paris où siégeaient les représentants de vingt et une nations décidait d’une manifestation populaire qui aurait lieu dans le monde entier, le même jour : la première édition eut lieu le 1er mai 1890.
Puis vint le temps où le suffrage universel finit par attirer les révolutionnaires. Jean Dormoy fut élu le 1er mai 1892 maire de Montluçon. Dès son installation, il se lance dans un vaste projet : la construction de la Maison du Peuple au cœur de la Ville-Gozet. Politiquement, il allégera la fiscalité locale pour les plus modestes et ouvrira plusieurs écoles. Il s’attachera à rendre gratuites les fournitures scolaires pour les enfants des familles indigentes.
Atteint par la maladie, il décédera à quarante sept ans. Trente mille personnes suivent le convoi mortuaire. Son fils, Marx Dormoy a alors dix ans, une nouvelle page de l’histoire familiale va bientôt s’ouvrir !
Sources : Jean DORMOY et ses compagnons de lutte par Jean FILLIOZAT